Dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière, la qualité du créancier (hypothécaire, privilégié ou chirographaire) influence directement sa capacité à agir et à être désintéressé lors de la répartition du prix de vente. Ce guide juridique, rédigé par un avocat, détaille les droits, obligations et limites applicables à chaque type de créancier.
Les créanciers en matière de saisie immobilière : créanciers hypothécaires, privilégiés et créanciers chirographaires
La saisie immobilière est une procédure par laquelle un créancier fait vendre judiciairement un bien immobilier appartenant à son débiteur afin d’obtenir paiement de sa créance. Tous les créanciers ne sont cependant pas placés sur un pied d’égalité lors de la distribution du prix de vente : la distinction entre créanciers privilégiés et créanciers chirographaires emporte des conséquences majeures tant sur la possibilité de poursuivre la saisie que lors de la répartition du prix.
1. Typologie des créanciers : privilégiés, hypothécaires, chirographaires
Créanciers privilégiés :
Il s’agit des créanciers bénéficiant d’une sûreté réelle ou d’un privilège conféré par la loi sur l’immeuble, comme les créanciers hypothécaires, ou ceux détenant un privilège immobilier spécial (ex. : syndicat des copropriétaires pour les charges de copropriété). Ces créanciers disposent d’un « droit de préférence » leur permettant d’être payés avant les autres, selon le rang de leur inscription.
Créanciers chirographaires :
Ce sont les créanciers “ordinaires”, qui ne bénéficient ni de sûreté ni de privilège conféré par la loi sur l’immeuble. Ils participent à la distribution du prix de vente seulement en l’absence de créanciers privilégiés, ou s’il subsiste un solde après leur désintéressement.
2. Impact de la distinction sur la procédure de saisie immobilière
a. Droit d’engager la saisie
Principe : tout créancier peut agir en saisie immobilière.
Tout créancier, qu’il soit chirographaire, privilégié ou hypothécaire, peut pratiquer une saisie immobilière :
« Tout créancier, qu’il soit chirographaire, privilégié ou hypothécaire, peut pratiquer une saisie immobilière » (C. pr. exéc., art. L. 311-2).
Limites pratiques pour les chirographaires :
Le créancier chirographaire, s’il engage une saisie immobilière, doit supporter la concurrence des créanciers privilégiés qui seront payés avant lui sur le prix :
« La possibilité de saisie pour le créancier chirographaire est toutefois limitée dès lors qu’il ne dispose pas du droit de suite attaché à toute hypothèque inscrite ; il ne peut poursuivre la saisie pour autant que le débiteur n’a pas aliéné l’immeuble sur lequel sont dirigées les poursuites […] il doit alors subir la préférence d’éventuels créanciers inscrits. »
b. Déclaration de créance et procédure de distribution du prix
Déclaration obligatoire pour les créanciers inscrits :
« À peine de déchéance du bénéfice de leur sûreté pour la distribution du prix de vente de l’immeuble, les créanciers doivent déclarer, dans le délai de 2 mois à compter de la dénonciation du commandement de payer valant saisie » (Cass. 2e civ., 28 juin 2018, n° 17-15.054).
Les créanciers sommés de déclarer leur créance et qui ont omis de le faire sont déchus du bénéfice de leur sûreté pour la distribution du prix de vente de l’immeuble. Leur créance devient alors simplement chirographaire.
Créanciers chirographaires : exclusion de la procédure de distribution :
« Est donc exclu le créancier chirographaire, à moins qu’il ait la qualité de créancier poursuivant […] Le créancier ayant exposé des frais de poursuite pour conduire la procédure de saisie immobilière étant payé par priorité. […] S’il reste un solde, il revient au débiteur […] mais ce solde peut faire l’objet d’une saisie-attribution ou d’une procédure d’exécution équivalente. »
Indivisibilité de la procédure pour les créanciers inscrits :
Même déchus de leur sûreté, ils restent parties à la procédure :
« La procédure demeure indivisible à leur égard même s’ils ont omis de déclarer leur créance. » (Cass. 2e civ., 2 déc. 2021, n° 20-15.274)
c. Règles de répartition du prix : ordre et contribution
Principe d’égalité et exceptions :
« Si le prix de vente est insuffisant pour désintéresser tous les créanciers chirographaires, ce prix doit se partager entre eux au marc-l’euro, c’est-à-dire au prorata de leurs créances respectives. »
Mais les créanciers privilégiés priment les autres selon leur rang.
Interdiction de déroger à l’ordre légal :
« Le cahier des charges ne peut pas modifier directement ou indirectement l’ordre dans lequel le prix doit être réparti entre les créanciers. » (Cass. 2e civ., 13 mars 1996, n° 209 PB)
3. Synthèse et conséquences pratiques
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Les créanciers privilégiés sont payés en priorité selon le rang de leur sûreté.
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Les créanciers chirographaires ne participent à la distribution que s’il reste un solde ou en l’absence de créanciers privilégiés.
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Aucun avantage ne peut être contractuellement accordé à un créancier chirographaire.
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Les créanciers inscrits doivent déclarer leur créance pour conserver leur sûreté, mais restent inclus dans la procédure même en cas de déchéance.
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Depuis l’ordonnance du 12 mars 2014, un paiement indu à un créancier privilégié en violation de l’ordre légal peut être récupéré dans le cadre des procédures collectives.
En résumé :
La distinction entre créanciers privilégiés et chirographaires structure l’ensemble de la procédure de saisie immobilière, du droit d’agir à la répartition du prix. Elle impose un strict respect de l’ordre légal tout en interdisant toute dérogation contractuelle.
Le recours à un avocat expert en droit immobilier est essentiel pour défendre ses intérêts dans le cadre d’une vente aux enchères judiciaires et anticiper les enjeux liés à la nature de sa créance.